Une célèbre parole attribuée au Prophète (ﷺ) exhorte le croyant à « chercher la connaissance jusqu’en Chine ». Précisons-le d’emblée, ce hadīth, de ce qui résulte des analyses des spécialistes, est da’if (faible) et selon beaucoup très probablement inventé (mawdū’, forgé).[1] Il se peut donc que le Prophète (ﷺ) n’aie jamais formulé ces paroles, pourtant les savants sont unanimes à soutenir que le sens de cette parole est correct car il rejoint d’autres dires prophétiques. En effet, ce dernier n’a-t-il pas clairement dit – et cela est rapporté de façon authentique – que « Celui qui emprunte une voie à la recherche d’un savoir, Allāh lui rendra facile son chemin au Paradis »[2] ?
La première source des musulmans est le Coran, Livre révélé vingt-trois années durant et venant confirmer les précédentes révélations et parachever la religion. Ce dernier mentionne 335 versets qui traitent d’al-‘ilm (la science) et ses dérivés liés au savoir et à la connaissance.[3] D’ailleurs, les cinq premiers versets[4], révélés par Dieu au Prophète (ﷺ) sur le mont de Hirā, au travers de l’ange Gabriel (Jibrīl), sont d’une importance fondamentale :
1.) Lis ! Au nom de ton Seigneur qui a créé,
2.) qui a créé l’homme d’une adhérence.
3.) Lis ! Ton Seigneur est le Très Noble,
4.) qui a enseigné par la plume (le calame),
5.) a enseigné à l’Homme ce qu’il ne savait pas.
La première injonction divine est de lire ! Lire au nom du Seigneur, le Créateur de toute chose.[5] Le premier mot de la révélation coranique ne peut être considéré comme anodin, d’autant plus que la suite de la sourate insiste sur l’importance du savoir. Après avoir fait mention de la création de l’univers de manière générale, il est fait mention de la création de l’Homme en particulier en mettant l’accent sur le fait que Dieu l’a créé dans une forme parfaite mais à partir d’un état des plus modestes et insignifiants (une adhérence). Sayyid Abul A’la Maududi rapporte dans son Tafhim al-Qur’an que le mot ‘alaq (ici traduit par adhérence), est le pluriel de ‘alaqah, qui signifie sang coagulé. Il s’agit dans ce verset de l’état primaire de l’embryon qui apparaît quelques jours après la conception et qui se transformera graduellement pour prendre la forme d’un être humain. Le mot ‘alaq fait allusion à l’étape de la fixation de l’embryon sur la paroi utérine et met l’accent sur l’importance de la contemplation de la création ainsi que sur la nécessité de l’étudier en détails. Au troisième verset, une nouvelle injonction de lire est révélée et marque ainsi l’insistance de la prescription. Puis, aux quatrième et cinquième versets – bouclant la première révélation coranique au Prophète (ﷺ) –, Allāh le Très-Haut mentionne successivement l’enseignement et le calame, puis l’enseignement (l’apprentissage de l’Homme) et le savoir. Musa Kazim Gülcür, dans son livre sur al-adāb al-muācharat[6] (l’éthique du comportement bienséant), place l’étude et l’apprentissage comme des caractéristiques essentielles au développement éthique du musulman et dit : « un des grands bienfaits que Dieu a accordés à l’Homme – lequel est, à ses débuts, un être insignifiant – est la connaissance, qui a porté l’Humanité au plus haut niveau, au-dessus de toutes les autres créatures. Comme les Hommes ont reçu, outre la connaissance, l’usage du calame, ils sont donc chargés de répandre cette connaissance, en l’utilisant comme outil de développement et de progrès, et en la sauvegardant pour les générations futures. »[7]
Le Très-Haut dit dans le Coran : {Et celui à qui la hikma (souvent traduit par sagesse) a été accordée, bénéficie vraiment d’un bien immense.}[8] At-Tabarī rapporte dans son tafsīr que Mujāhid a dit que al-hikma peut être traduite ici par al-‘ilm (la science) et la compréhension ; alors que selon d’autres, elle désigne « la justesse dans les paroles et les actes et a le sens de isāba : le fait de toucher juste. […] [ou] l’intelligence (al-‘aql) […]. »[9] Pierre Godé précise que « dans l’esprit de Mujāhid il peut s’agir ici de science traditionnelle en général ou plus spécialement de la science du Coran. »[10] Selon Ibn Kathīr : « Ce qui est établi, c’est que la sagesse, comme l’affirment la plupart des doctes, n’est pas une spécificité de la prophétie, mais recouvre une signification plus générale, son plus haut degré étant [toutefois] la prophétie. »[11] Il rapporte également – au sujet de al-hikma dans ce verset – qu’Ibn Mas’ūd a dit que le Prophète (ﷺ) s’est exprimé en ces termes : « Il n’y a que deux personnes qu’il soit permis d’envier : celle à qui Dieu a donné la fortune et qui a le courage de consumer son bien pour la cause de la vérité ; celle à qui Dieu a donné la sagesse et qui l’applique aux hommes et la leur enseigne. »[12] Le Dr. Gülcür considère que « dans ce verset, le terme al-hikma […] signifie « la connaissance bénéfique ». »[13] Une connaissance bénéfique étant celle qui élève le niveau de celui qui la cultive en augmentant sa piété, mais aussi, qui devient profitable pour ceux qui l’entourent. La connaissance réellement bénéfique ne peut être dissociée d’une augmentation spirituelle chez la personne croyante qui l’acquiert. En ce sens, un verset affirme : {Parmi les serviteurs de Dieu, seuls les savants Le craignent (comme il se devrait).}[14]
{Allāh élèvera en degrés ceux d’entre vous qui auront cru et ceux qui auront reçu le savoir.}[15]

[1] Citons, par exemple, Al-Bayhaqī qui a dit : « Ce texte est célèbre, mais c’est un hadīth faible, il a été rapporté selon des chaînes de transmission qui sont toutes faibles… » (Shu’ab al-Imān). Ibn al-Qaysaranī a également critiqué le hadīth en raison de la présence d’Abū Atikah ibn Salman dans sa transmission, qui selon ses propos « rejeté dans les ahādīth au plus haut niveau (Munkar al-hadīth jiddan) ». (Tadhkirāt al-Huffādh). Ibn Al-Jawzī, mentionne ce hadith et cite à son propos les paroles d’Ibn Hibbān : « invalide/rejeté, il n’a aucune base » (Al Mawdu’āt 1/215). De même, Adh-Dhahābī reprend les paroles d’Ibn Hibbān dans Tartib al-Mawdu’āt (p. 52, n° 111) et As-Sakhāwīi dans Maqaasid al-Hasanāh (p. 86, n° 125).
[2] Sahīh Muslim [2699].
[3] Hassan Amdouni, Le Savoir DVD, 2008 : « La quête du savoir est une obligation ».
[4] Coran : 96, 1-5.
[5] Précisons que le mot « iqra » a un double sens : celui de lire et celui de réciter ; la lecture à une étendue générale tandis que la récitation est propre au Coran.
[6] En turc, adabı muaşeret. Ouvrage traduit en français (référence à la note suivante).
[7] Gülcür Musa Kazim, De la perfection de la personnalité, un guide complet des bonnes manières et des qualités morales en islam, Izmir, Éditions du Nil, 2009, p. 21.
[8] Coran, 2 : 269.
[9] At-Tabarī, Commentaire du Coran – Abrégé, traduit et annoté par Pierre Godé, Paris, Éditions d’Art les Heures Claires, 1984, vol.2, p. 488.
[10] Op. cit., p. 490.
[11] Ibn Kathīr, L’authentique de l’exégèse d’Ibn Kathīr (édition critique de Mustafā ibn al-‘Adawī), Paris, Maison d’Ennour, 2013, vol. 1, p. 370.
[12] Ibidem. Parole rapporté en termes voisins par Al-Bukhārī [73] et Muslim [63].
[13] Op. cit., p.22.
[14] Coran, 35 : 28.
[15] Coran, 58 : 11.