MALCOLM X : DE LA NATION OF ISLAM AU « TRUE ISLAM » (3/3)

Dès 1961, Malcolm X, qui semble reprendre, indépendamment de sa volonté, la Nation à son compte, est de plus en plus critiqué. De l’intérieur, certains l’accusent de vouloir usurper la place du « Prophète », et, de l’extérieur, on l’accuse de s’enrichir en appelant à la haine contre les Blancs. Le journal de la NOI, commence à moins parler de lui alors que pourtant les foules de nouveaux adeptes qu’il attire dans chacun de ses meetings ne font que grandir. Malcolm ressent qu’au plus ses rassemblements gagnent en importance numérique (allant jusqu’à 7000 à Harlem, 8000 à l’université de Californie), au plus le fossé se creuse avec les disciples du Q.G. à Chicago.

En 1963, la presse américaine accuse Elijah Muhammad, preuves à l’appui, d’avoir entretenu des rapports intimes avec plusieurs secrétaires et d’être le père d’au moins quatre enfants illégitimes. Pourtant, l’adultère est en théorie sévèrement réprimé à la Nation Of Islam, entrainant le bannissement temporaire ou définitif de ceux qui s’y adonnent. D’ailleurs, avant que le scandale n’éclate, les secrétaires en question avaient été jugées d’immoralité (pour grossesse hors-mariage) par le tribunal de la NOI et mises à l’écart de la Nation.

Malcolm X refuse de croire à ces histoires sur le « Prophète », il reste pour lui celui qui l’a sorti de prison, le seul qui l’ai traité comme son propre fils. Mais par la suite, il apprend qu’Elijah Muhammad, malgré ses attentions lorsqu’il va le voir, ne se gêne pas, en son absence, de démolir son image devant ses proches. Voulant en avoir le cœur net, il rend visite à Elijah. Le « Prophète » donne à Malcolm une explication pour le moins surprenante que Malcolm se force à accepter : « Tu as toujours été apte à comprendre les prophéties, les choses spirituelles. Tu les reconnais pour ce qu’elles sont : des prophéties qui s’accomplissent. Je suis David. Quand tu lieras que David a pris la femme d’un autre homme, sache que je suis ce David. Tu liras que Noah s’est enivré. Je suis ce Noah. Tu liras que Lot a forniqué avec ses propres filles. Je dois accomplir tout cela »[1].

Le 22 novembre 1963, le président Kennedy est assassiné et les pasteurs de la NOI reçoivent l’ordre de ne faire aucun commentaire public sur l’assassinat. Malcolm X allant à l’encontre de l’ordre à la fin d’une conférence,  répond à un journaliste que l’« on ne récolte que ce que ce que l’on sème ».[2] Cette déclaration va mettre le feu aux poudres et lui valoir d’être publiquement condamné au silence, par Elijah Muhammad, pendant 90 jours. Malcolm décide, dans un premier temps, d’humblement se soumettre à la sanction, estimant qu’il a désobéi et que la sagesse du « Prophète » ne peut être remise en question. Ce temps et ce recul avec la NOI vont lui permettre de s’attarder sur des questions qui le rongent de l’intérieur, mais, auxquelles il n’a, jusque là, pas eu le temps de répondre.

Les choses s’accélèrent quand un disciple d’Elijah Muhammad l’informe qu’il a reçu la directive de faire exploser sa voiture. Là, c’en est trop pour Malcolm ! L’image qu’il a d’Elijah se brise et il décide de quitter définitivement la NOI. D’autres « musulmans »  le suivent presque instantanément. Eux non plus, ne croient plus en cet homme qui abuse de la confiance de ses disciples, qui prêche une morale qu’il ne tient pas et qui, maintenant, appelle au meurtre de Malcolm, pasteur sans qui la NOI ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui.

Malcolm X reprends alors ses meetings et ses conférences, il ne prêche plus pour la NOI mais pour la lutte des Noirs. Son public s’agrandit de jour en jour, il n’appelle plus à rejoindre la religion d’Elijah ni à se soumettre à des règles strictes, non, il appelle simplement à plus de dignité humaine. « Chaque jour de frères militants de la Mosquée Numéro Sept se ralliaient à moi. Chaque jour m’apportait un nouveau soutien de la part de Noirs non musulmans, y compris à mon grand étonnement, des Noirs « bourgeois » qui en avaient assez de jouer la comédie du standing. »[3]

Sa sœur Ella quitte également la NOI. Elle commence à fréquenter des autres musulmans, à étudier l’arabe et les principes de l’orthodoxie islamique. Malcolm, lui, a vécu une période trouble et chamboulée, il à besoin de se retrouver et de prendre ses distances. Il entreprend alors, à ce moment, d’effectuer le pèlerinage à la ville sainte de musulmans : la Mecque. {Et c’est un devoir envers Allah pour les gens qui ont les moyens, d’aller faire le hadj de la Maison.} (Coran, 3 : 97)

Lors du pèlerinage, il est bouleversé par l’hospitalité tant des résidents que des pèlerins, mais,  par-dessus tout, par la véritable fraternité qui y règne, celle qui est inspirée du principe supérieur de Dieu mettant toutes les Hommes à égalité. Dans une lettre qu’il écrit à sa femme, il relate : « Au cours des onze journées que j’ai passées ici, dans le monde musulman, j’ai mangé dans le même plat, bu dans le même verre, dormi sur le même lit (ou sur le même tapis), j’ai prié le même Dieu que mes coreligionnaires aux yeux les plus bleus, aux cheveux les plus blonds, à la peau la plus blanche »[4]. Il se rend compte des erreurs commises par le passé, lorsqu’il prêchait la haine à la solde de la Nation Of Islam et renoue avec l’Islam et l’humanité dans toute sa diversité. Il ne veut plus être Malcolm X, ce « X » était un symbole de révolte et d’agression à sa personne. Dorénavant, il est en paix avec lui-même et avec l’Autre : il devient Al-Hajj Malek al-Shabazz.

« Il m’est arrivé, dans le passé de condamner en bloc tous les Blancs. Je ne le ferais plus jamais […] Je suis pour la justice, quels que soient ses défenseurs et ses détracteurs. Je suis avant et par-dessus tout un être humain et à ce titre je suis pour ce qui est bon pour l’humanité dans son ensemble. »[5].

Voila ce que dit Malcolm, Malek al-Shabazz, devant une foule de journalistes venus l’accueillir pour son retour en Amérique. Pourtant, la majorité des médias, bien que présents à l’évènement et ayant reçu une copie de sa lettre écrite depuis la Mecque, passent sous silence ses nouvelles déclarations. Peut-être que le discours n’étant plus radical et de fait manquant de spectacularité pour l’audimat, il est dans leurs intérêts d’entretenir l’image du Malcolm X maléfique et révolté contre les « diables blancs ».

Malcolm et ses proches reçoivent continuellement des menaces de mort de la NOI, il ne passe que très peu de temps avec sa famille afin de leur éviter le pire. Dans la nuit du 14 février, alors qu’il vient à peine de rentrer chez lui après une longue période à l’étranger, une terrible explosion réveille la famille. Malcolm, sa femme, qui est enceinte, et ses filles s’en sortent presque indemnes – une de ses filles restera sourde d’une oreille suite à la détonation – mais la maison est ravagée par les flammes. Le lendemain, il doit de nouveau s’envoler pour un autre État, il sait que ses jours sont comptés et il a encore beaucoup de choses à dire. « Je me réveille tous les matins sachant que j’ai gagné un jour de plus. Je vis comme un mort en sursis. »[6]

Le dimanche 21 février, vers 14 heures, alors qu’il donne une conférence devant une foule d’environ 400 personnes, un incident éclate au huitième rang. Un homme crie sur un autre et l’accuse d’avoir essayé de lui dérober un objet. – Doucement, Doucement, calmez-vous les frères, dit Malcolm, quand soudain, profitant de la confusion générale, plusieurs hommes de la NOI se lèvent simultanément et déchargent leurs calibres sur lui. Seize balles l’atteignent, il s’écroule, mourant tel qu’il a vécu durant une bonne partie de sa vie, sur une estrade, face à son public…

« Je sais que bien des sociétés assassinent les hommes qui les ont aidées à se muer. Si je meurs en ayant apporté la plus petite lumière, la plus petite parcelle de vérité, si je meurs en ayant pu contribuer à détruire le cancer raciste qui ronge la chair américaine, alors, le mérite en revient à Allāh. Ne m’imputez que mes erreurs. »[7]

 

Sources :

Malcolm X (et Alex Haley), L’autobiographie de Malcolm X, Paris, Presses Pocket, 1993

Tariq Ramadan, La vie de Malcolm X, https://www.youtube.com/watch?v=0pnapPMPEWA

[1] Malcolm X (et Alex Haley), L’autobiographie de Malcolm X, Paris, Presses Pocket, 1993, p. 257. Elijah Muhammad fait référence à des douteux passages de l’Ancien Testament.

[2] Littéralement, les poulets retournent au poulailler : « The chikens come home to roost qui signifie : la haine fait boomerang ». Malcolm X, op. cit., p. 258.

[3] Malcolm X, op. cit., p. 265.

[4] Malcolm X, op. cit., p. 281.

[5] Malcolm X, op. cit., p. 291-292.

[6] Malcolm X, op. cit., p. 301.

[7] Malcolm X, op. cit., p. 302.

 

Image : Malek al-Shabazz (Malcolm X) après son pèlerinage à la Mecque.